(edit) finalement (comme pour Franz) : lutte de Karl contre "son" destin : concours entre le destin d'industriel affairiste que sa mère, sa femme, les membres des coteries lui assignent (destin externe), et l'aspiration à la liberté, à la cause du peuple qui fut sa première sensibilité, ses premières émotions (Paul) (destin interne — la liberté, la sincérité se paie au prix de la mort)
Le père de Karl, entrepreneur raté qui a dilapidé la dot de sa femme dans des projets inconsidérés (genre un grand hôtel en pleine campagne), meurt prématurément laissant sa femme avec Karl, son frère Erich et sa sœur Marie.
La mère est accueillie et hébergée en ville par son frère, fabricant de meubles âpre au gain, bercée d'illusions déçues et prise à la gorge par les créanciers, elle tente de suicider, acte fondateur de la nouvelle vie de la petite famille : Karl va devoir prendre la place du père, le frère va être fragilisé et servira de tampon, la sœur disparaîtra vite, mais surtout, la mère décidera que le fils ne lui fera jamais ce que le père lui a fait : elle va s'assurer de sa soumission à son souhait d'une vie rangée et profitable, brisant en Karl ses velléités (vagues) de révolutionnaire puis d'artisan avec des projets (la mère est devenue allergique à tout projet qui pourrait à nouveau faire basculer la famille dans le besoin).
Jeunesse de Karl : traîne dans la ville (seul d'abord puis avec sa mère) ; rencontre Paul, le jeune blond déjà homme, anarchiste engagé (évasion des terroristes, discours anti-capitalistes : la première occurrence de "Pas de pardon" est dans un passage d'un monologue dans lequel il explique à Karl que les patrons ont leur loi, les pauvres, la leur, que le combat doit être sans pitié) ; à gagner sa vie en aidant une marchande de fruits...
Relation Karl-Paul : attirance homosexuelle très claire (cf, Musil, Les Désarrois de l'élève Törless : une image de la jeunesse virile austro-allemande ? travestissement de Paul, séduction, mais aussi force et violence)
La femme de Karl, Julie, qu'il a un peu traitée comme un meuble bien rangé, proprement mais sans passion, se décide à tenter l'aventure adultère avec un Mexicain, José -> dans Berlin A., Mimi trompe Franz avec un jeune soudeur d'abord (la drague, les mots, la beauté) puis avec Pums, la force virile et incontrôlée (contre la faiblesse difforme mais aimante de Franz — ne pas négliger les hésitations de Mimi qui veut (nous faire) croire que c'est aussi pour aider Franz qu'elle cherche à faire parler Pums) / dans La Maison et le Monde de Tagore : Nikhil traite Bimala avec un amour très respectueux mais un peu chosifiant, même cause, même effet
Passages sur l'acte sexuel, les ablutions préalables (cf extraits ci-dessous)
Passages sur la crise : très finement analysée dans son implacable déroulement, son insidieux cheminement dans la familiarité
- "Jusqu'ici, on avait fait preuve de calme et de patience, mais sous prétexte qu'on ne remboursait pas, l'étranger refusait de nouveaux prêts, c'était un comble ! C'était une vengeance ourdie par ceux à qui on avait affirmé que les choses ne pouvaient continuer ainsi. On apprit qu'à l'étranger, ils reprochaient aux pays débiteurs d'avoir investi l'argent prêté dans des banques, de puissantes fabriques, des hôpitaux et des quartiers neufs. Oui, et pourquoi sinon le leur aurait-on emprunté ? N'avaient-ils pas plutôt, tout bonnement, imposé aux autres leur argent de Mammon pour toucher des intérêts substantiels, exploiter la sueur et le travail des autres ? Subtile méthode ! Et ensuite, ils vous reprochaient d'avoir travaillé ! On avait affaire à un adversaire peu délicat (cf. Shylock*). Toujours est-il qu'il ne prêtait plus." (p190 -> Stiglitz, Un autre monde, p297s, surendettement vs surfinancement)) [*Le personnage du Marchand de Venise de Shakespeare qui exige "une livre de chair" à Antonio]
Dommage : le style a comme disparu — subsistent les techniques de tutoiement, de prédictions de la fatalité, des parenthèses, des remarques de la part du narrateur, mais plus de langage vif, plus de syntaxe brutale, plus de collages, du linéaire tiède assez rebutant au départ
Plus de mythologie biblique (correction : moins de Bible mais toujours des réf à Eve, à Caïn, à Babylone), à la place : le Panthéon (la demeure des rois — en bas, la populace, les soumis) ; le tableau d'un roi sur son cheval, son ennemi se rendant à ses pieds ; l'armure dans son "musée" personnel (le chevalier de fer-blanc)
Toujours la ville organique, corps difforme à la croissance trop rapide, engraissée dangereusement ; géographie des classes (Karl veut rester dans le quartier de banlieue où ila emménagé à son arrivée avec sa mère, et malgré le succès, contre la volonté de Julie, y restera toujours : position géographique déplacée par rapport à la classe / positionnement politique, psychologique pas coordonné, manque d'harmonie traduit le tiraillement intérieur) ; ville arbre
Lieu : une grande ville, avec ses quartiers riches, ses quartiers commerçants, ses quartiers pauvres/industriels, ses banlieues, un nord, un sud, sa forêt, pas souvenir d'avoir lu "Berlin"
Temporalité : avant et pendant une crise, avant une guerre (annonce prémonitoire à la fin : les champs ne produiront plus de blé mais porteront des croix : forcément avant la guerre de 14-18)
Les discours-programmes :
- Paul : le communisme révolutionnaire, l'activisme
"Eh bien Karl, il faut que tu comprennes pourquoi ils construisent des asiles de nuit. Ils veulent déblayer les rues de leurs ordures et les ordures reconnaissent gentiment : c'est vrai que nous ne sommes pas belle et elles s'écoulent dans les caniveaux prévus." (Paul jeune à Karl p65)
"Regarde, ils trônent sur la montagne pendant que nous sommes dans le marécage. Après quoi, il suffira de déblayer, nous serons fichus. Car, tu as vu, ils ne nous font rien, ils nous laissent vivre. (...) Mais de temps en temps, ils descendent avec des torches et quand notre monde les rebute ou les irrite trop ils mettent le feu. Il leur faut s'y résoudre quand les asiles de nuit ne suffisent plus et que les immondices ne s'arrêtent plus aux bords des trottoirs mais envahissent les rues." (Paul et Karl regarde les palais, les demeures seigneuriales et les hauts monuments p66)
- les partis / les syndicats : pour le dialogue, la réforme : dépassés par les activistes (soupçon de la manipulation de ces groupes par le gouvernement, pour discréditer la cause / les partis, eux, se tiennent pour ne pas faire le jeu du gouvernement)
Karl, alors tout juste embauché comme employé dans l'usine de meubles de l'oncle, se rend dans la maison du syndicat, reprise en discours indirect du président du syndicat : "Pour l'ouvrier, pour les opprimés de cette terre un seul mot : organisation."
- les industriels :
- les aristocrates : la famille régnante en retrait
- le gouvernement : frappe dur ;
- les militaires
// Franz Biberkopf :
- le personnage cherche à suivre un chemin qu'il a décidé de s'imposer contre ce qu'il ressent comme ce qui lui est destiné : la criminalité pour Franz, la réussite par l'argent pour Karl
- à sa sortie de prison, Franz veut prendre une position honnête mais il est piégé par Pums, puis envoûté par la force de ce truand manipulateur auquel il ne sait comment s'opposer, résister, diminué par son handicap, Franz retombe dans l'ornière de son destin ; manque de mourir physiquement, puis renaît sous une autre forme : un Franz assagi, redressé et humble, soumis à la loi sociale, qui accepte une petite position de gardien // Karl veut d'abord s'émanciper du joug de sa mère sous l'effet de la séduction de Paul, le révolutionnaire trouble (mystère de ses activités et de sa sexualité — beauté et travestissement) ; sa mère le force à quitter très vite ce chemin de biais, par un chantage affectif (la menace d'une nouvelle tentative de suicide ; la fragilité, la fatigue (Doblin décrit le rapport de la mère au sommeil, simplicité du refuge dans la difficulté) ; l'amour maternel et les devoirs du grand frère "soutien de famille") ; elle le place chez l'oncle et l'oblige moralement envers lui ; Karl y trouve son compte tant qu'il est ouvrier, proche des travailleurs, accepte avec réticence la promotion offerte/imposée par l'oncle puis joue le jeu de la progression fulgurante et de la réussite sociale, avec les à-côtés que sont le beau mariage, la représentation, le pouvoir, les compromis, jusqu'à la compromission et l'illicite ; dans la crise et face au vrai visage de l'aristocratie, des militaires, des puissants, Karl se retrouve à devoir affronter ses anciens démons ; le retour de Paul coïncide avec ses nouvelles interrogations sur sa place, son engagement, son choix dans la lutte des classes : il décide finalement de laisser parler sa première sensibilité, de faire revivre ses premières convictions, d'exprimer à nouveau sa fidélité à Paul (qui explique à un Karl perdu, éperdu d'amour et d'un besoin de rédemption, incapable de bien saisir ce qui s'est passé et ce qui se passe, suppliant, qu'il a trahi la cause et que malgré les gestes de courage et de dévouement effectués dans sa jeunesse, toute la vie de Karl a été un renoncement à ces idéaux, une violation de son premier pacte, et que Karl est donc, aux yeux de Paul, le seul responsable de cet éloignement entre eux deux, là où Karl essaie de faire comprendre combien il a été victime de sa vie, de sa femme, de sa mère, de sa famille) : dans un élan irraisonné d'abandon des puissants vers les partisans des quartiers nord, Karl se jette vers sa fin mais aussi vers son retour à lui-même, à sa vérité -> cette fois, mort physique mais survie mythologique : le camp des riches en fait un héros de leur cause par des articles élogieux
(Ici cf Borges, Thème du traître et du héros, in Fictions : les militants irlandais veulent tuer un traître mais par crainte de discréditer leur lutte, mettent en scène et en histoire, le récit de cette mort, recours aux éloges posthumes)
// Tagore, La Maison et le Monde, 1915 :
- une épouse respectée, choyée, certainement aimée, mais sans passion, ou sans la passion que la femme attend, dont elle a besoin, une passion des sens et du corps
- recours au tiers : le révolutionnaire passionné et fougueux dans La Maison..., à l'étranger séducteur non impliqué mais humain et aimant dans Pas de pardon (José, attaché d'ambassade mexicain)
- rapport à l'étranger, au monde extérieur (au pays, pas seulement au foyer) : dans La Maison : rejet de la présence étrangère, des produits fabriqués à l'étranger (laine, parfums, costumes, savons) au profit des productions locales (le Swadeshi et son irréalisme économique : Nibil démontre l'impossibilité, dans l'immédiat, de vendre des produits fabriqués au Bengale à une population nationale essentiellement pauvre, du fait du coût de production dans un pays peu développé au regard des coûts de revient et des prix de vente conséquemment moindres des biens importés de pays industriels) / dans Pas de pardon : tentation de la délocalisation des moyens de production, démontage des usines et implantation des machines à l'étranger où les coûts de production sont moindres (et action sous l'impulsion du major, et sous la pression du groupe : tous le font ou voudraient le faire mais nul ne l'avoue par peur de la publicité, des accusations d'anti-patriotisme...)
Humour, not. dans les scènes conjugales :
- le rapport de Karl au sexe et à l'hygiène
- à propos de la mère de Karl qui reprend vie dans la société du pasteur : "Quand les morts se réveillent, il en résulte des tragédies mais parfois aussi des comédies burlesques." (p140)
- "Elle se sentait bien auprès d'Erich. (...) Elle comptait beaucoup sur le charme évident qu'exerçait auprès des hommes sa bêtise au-dessous de la moyenne." (p179)
- "Il se tordait les mains : que voulait-elle donc en désirant un enfant, un enfant à tout prix ? Pourquoi pas un chien ou un chat angora ? Il y avait déjà tant d'enfants sur cette terre, pourquoi voulait-elle encore en augmenter le nombre ? (...) Il lui demanda prudemment s'il était nécessaire que l'enfant soit de lui." ; "Il y eut tempête sur tempête. Il n'osait même pas faire allusion à la nécessité de divorcer sous peu. Il se trouvait prisonnier d'une situation qu'il jugeait contre nature. Alors qu'elle trouvait que la situation était redevenue normale." (scène entre Julie et Karl p181)
Edit 9 juin



Edit 9 juin
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