jeudi 23 avril 2009

Berlin Alexanderplatz - Alfred Döblin

Histoire de Franz Biberkopf, ancien déménageur, terrassier sorti de 4 années de prison pour le meurtre de sa compagne (qui allait le quitter pour un autre)
Trad célinienne : "C'est régulier"
Scènes d'abattoir : abattage d'un porc, d'un taureau et d'un veau : détails, neutralité (sauf pour le veau : "atroce"), technicité : Döblin dit à l'animal de ne pas en vouloir à son bourreau : son rôle de bourreau, ce n'est qu'une tâche administrative, pas de sentiments contre la bête
Inserts dans la narration :
- bulletins météo, réclames, articles, documents policiers ou administratifs, etc.
- explications techniques des faits : paragraphes sur le mécanisme de la sexualité (fonctionnement hormonal, répartition des fonctions dans le corps), explication de l'impuissance (après des scènes où Franz ne parvient pas à avoir une activité sexuelle avec des prostituées : médicament, traitement, conseil : attendre que ça passe) / explication physique des blessures de Ida, la compagne de Franz : les corps et les objets en rapport de forces, formules scientifiques décrivant a vitesse et l'énergie du geste de Franz quand il a frappé Ida avec le fouet de cuisine)

Références à des épisodes bibliques : citations, analogies : Jérémie, Job, histoire du faucheur armé par Dieu (ce faucheur aiguise son outil, sa tâche est inévitable), réf à l'Arche de Noë par le Juif (pour lui, il ne faut pas perdre espoir : lorsque Noë a sauvé les espèces de la création, il a sauvé jusqu'aux insectes apparemment les plus insignifiants et moches — reste à savoir quel crédit accorder aux récits et aux leçons donnés par ce Juif, moqué par son ami roux, et contredit par le récit lui-même (et donc par Döblin), et l'Histoire elle-même (le génocide)). Adam et Eve (Eva ? figure de la tentation originelle ? silence de Döblin sur ce point. Eva apparaît plus comme une mère aimante que comme le vice tentateur...). Babylone, monstre à sept têtes et dix cornes, assoiffée de sang... Döblin révèle vers la fin l'existence de deux anges gardiens qui ont protégé Franz jusque là.

Référence à des mythes de la tragédie grecque : Franz en Oreste, réf à Clytemnestre, aux Euménides (rapport au destin implacable, à la fatalité), aux Erynies

Réf à des écrivains, textes : Goethe (Chant de Mignon), Schiller (La Cloche), César Flaischen ; L'Internationale, chants patriotiques, populaires (récurrence des termes "pour le dzing dzing, boum boum, et rata-tchigne")

Narrateur omniscient (faits, pensées, espaces, temps) : connaît déjà la fin, l'annonce, prévient à chaque étape, malgré des épisodes de sursaut, face aux éventuelles attentes optimistes du lecteur, coupe court à tout espoir (malgré l'axiome intérieur de Franz : "rien ne ... de céder au désespoir")
Réf à l'histoire de l'Allemagne début de siècle : réf à la 1GM, à la domination prusse / post1GM : les petits boulots pour survivre, les allocations, le troc, les coups, la tentation des mauvais coups (Franz tente d'y résister (c'est tout son histoire) — il se fera piéger par Reinhold ; le couple de gardiens d'un entrepôt cède aux propositions des cambrioleurs et se font prendre par les policiers dès leur première participation alors que les voleurs se sont déjà enfuis — aigreur)
Histoire politique de l'Allemagne : personnages portant les thèses et les discours : du national-socialisme (un petit commerçant, exposant de foire, membre d'un syndicat, au bagout convaincant — Franz porte le brassard quelque temps) ; du communisme (réf à Karl Libknecht et à Rosa Luxemburg) ; de l'anarchisme (Face à l'anarchiste adepte de l'action directe, Franz avance que l'anarchiste qui travaille continue d'enrichir une fortune privée, et reste donc esclave ; son "activité" de mac, elle, est réellement anarchiste puisque pour son propre compte — mais l'anarchiste le range du côté des exploiteurs — Franz ne sait plus quoi en penser)

Figure des femmes :
Ida (l'amie de Franz qui le trompe, Franz la tue accidentellement — positions ambiguës des acteurs de l'entourage de Franz : la sœur ne parvient pas à le haïr (ils baisent plusieurs fois ensemble après sa sortie de prison) ; Eva, l'ex de Franz qui l'aime toujours pense qu'Ida a méritté son sort) ;
Eva : l'amoureuse fidèle, un peu mère (soins après l'amputation, elle lui dégote la petite, le rassure quand elle découvre qu'elle se prostitue un peu à son insu...). L'amour d'Eva disparaît après la dépression de Franz et son passage à l'hôpital. A son retour, Eva a perdu son enfant et ne reconnaît plus le Franz qu'elle avait connu et désiré. Eva est le personnage qui s'en sort "le mieux" ; tandis que Herbert part en prison, elle reste avec son riche protecteur, libre des entraves qu'auraient représentées l'enfant s'il était arrivé à terme, Herbert si elle avait dû continuer à l'entretenir (bien qu'elle ne l'abandonne pas en prison, mais les sommes nécessaires sont incomparables), et Franz, si elle avait dû continuer à s'en occuper comme une mère ou une amante potentiellement adultère.
Mimi-Emilie Parsunke-Marie-Sonia : la jeune fille de province inexpérimentée, naïve, qu'Eva prend sous son aile après une rafle de prostituées ; figure de l'amour pur et dévoué, innocent et entier, son inexpérience des relations dans le milieu la fera tomber dans le piège de Reinhold. Amour fort et sincère de Franz, Mimi est son soleil après sa mort. Mimi n'aura pas su résister à l'amour et aux avances d'un plus jeune que Franz (Karl le zingueur), ni aux manigances de Reinhold, plus fort et déterminé que Franz (bien qu'elle pressente une âme manipulatrice avec ces prétendues révélations ur Franz, une violence, Mimi joue un jeu dangereux avec Reinhold, rationnellement pour que Reinhold lui révèle l'histoire de Franz, sensuellement parce que Reinhold représente une force que Franz n'a pas (les deux bras, la force, le torse (enclume tatouée, la démarche). Scènes de manipulation mentale et corporelle par Reinhold et Karl très intriguantes, cf Accatone de Pasolini pour la débauche consentie. Meurtre dans les bois de Freienwalde.

Figures masculines :
Reinhold : apparaît d'abord comme un coureur, que Franz croit incapable de s'attahcer à une femmes, en fait faux tendre et vrai violent : les coups que Reinhold lui porte dans la voiture avant de le jeter sur la chaussée le surprenne par leur force ; Reinhold n'aura aucun mal à envisager son assassinat lorsque Franz revient dans la bande, il tue Mimi froidement
Herbert : le mac classieux, vieil ami du Franz d'avant Tegel. On ne sait pas exactement pourquoi Franz va se diriger vers Pums plutôt que vers herbert, une fois assumé le choix de reprendre du service. Herbert et Eva assure les soins et la convalescence de Franz après la chute.

Franz et la caverne platonicienne : on peut voir le cheminement de Franz comme une expérience de la sortie des ténèbres vers le soleil. Dôblin (p. 603 s) compare le trajet de Franz au cheminement sur une route sans nom, yeux fermés, interrompus par de nombreux chocs qui ne font que repartir Franz encore plus vivement, jusqu'à l'apparition d'une lanterne dont la lumière éclaire le nom de l'avenue... de même, vers la fin, citation de César Flaischlen (écr. romantique XIX) à un bouquiniste détrempé par la pluie : "Qu'importe la froidure / Quand le soleil est en toi ?" ; au cimetière, Franz explique à Eva qu'i a son soleil près du cœur, on comprend qu'il s'agit de Mimi (ou du souvenir de son amour) ; nombreuses scènes de dialogues avec Herbert et Eva où ceux-ci clignent des yeux, écarquillent les yeux devant l'attitude, les propos de Franz : eux ont les yeux "ouverts" quand lui ne parvient pas à ouvrir ses yeux et à saisir la réalité des sentiments des gens qui l'entourent (à commencer par la haine que lui porte Reinhold), ni les raisons qui expliquent sa situation, sa chute

Franz et la justice platonicienne : si on entend "justice" au sens platonicien de harmonie naturelle conforme à la répartition des rôles que la nature a donnés à chacun pour qu'il occupe une place dans la cité, en fonction de ses capacités, on peut voir la mélopée/prosopopée de la Mort lorsque Franz agonise comme une maïeutique au forceps, au terme de laquelle Franz prend conscience qu'il s'est obstiné à refuser la réalité du rapport de force, qu'il n'a pas voulu reconnaître sa défaite face à Reinhold, face à la destinée, qu'il a toujours cherché à contredire, de façon égoïste (centrant sur lui-même ses souffrances et lamentations, se plaignant de l'injustice à lui faire, sans voir la douleur des gens qui l'entourent) et de façon obstinément, insolemment contre-nature... la Mort le force à prendre conscience de la honte que ses erreurs doivent lui faire éprouver, le force à se déclarer vaincu -> de retour à la vie, sorti de l'hôpital, Franz quitte le milieu, rejoint la communauté des hommes ordinaires, accepte un petit emploi (concierge auxiliaire), ses sens se stabilisent, il se rassérène, quand, à sa sortie de prison, au début du livre et pendant tout son itinéraire, Franz voyait les toits et les immeubles glisser, se déséquilibrer, instables... C'est donc là que Döblin considère comme la place "juste" de Franz, le comportement "juste" qu'il lui assigne : une certaine modestie, une résignation face au sort et à l'adversité trop forte, la fin de l'insolence (prométhéenne) avec la prise de conscience de ses fautes et de ses responsabilités (not. à l'égard d Mimi : il a provoqué la jalousie haineuse de Reinhold en jugeant son comportement avec les femmes, en cherchant à le raisonner dans cette attitude, en voulant lui montrer Mimi comme la femme-modèle, l'exemple parfait de la femme avec laquelle une vie sereine st possible, alors qu'en agissant ainsi, il n'a fait qu'exacerber les penchants vicieux de Reinhold)
Ce retour à l'ordre juste des choses se fait quand même au prix de l'injustice non résolue, du vice impuni — finalement, Reinhold s'en tire sans trop de casse, alors que le bras De Franz n'a pas repoussé et que Mimi ne reviendra pas ; à l'échelle de la société, ce cheminement souligne le nécessaire lien avec la communauté des hommes, l'échange avec ses semblables, certes, mais aussi la vacuité de la résistance face à l'exploitation : les discours national-socialiste, communiste et anarchiste ne se traduise pas en actes, n'offre aucune sortie concrète au système de domination capitaliste, qui finalement absorbe Franz une fois celui-ci revenu de ses errements, sauf à ce que la communauté prenne forme autour d'une solidarité active, mais la rébellion solitaire est vaine.
30 avril / 1er mai 2009

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