vendredi 31 juillet 2009

Les Chants de Maldoror — Isidore Ducasse, Comte de Lautréamont (1869)

6 chants ± 250 p

Poèmes en prose plus noirs que Baudelaire et Sade, du Burroughs avant l'heure, mélange de délires, de visions monstrueuses mêlant humains, animaux et créatures d'un bestiaire diabolique, et de cadres classiques à la littérature XIXème comme les nuits ou les paysages romantiques (falaises, mers déchaînées, rues désertes de Paris, landes fantômatiques, etc.)
Référence à Balzac et son Vautrin quand le narrateur fait de Maldoror un forçat habitant un hôtel particulier du centre de Paris, qui recueille un homme pour en faire le bras armé de ses crimes
Maldoror fait parfois penser à Grenouille, le monstre parfumeur assassin du Parfum de Suskind : physique (réf aux narines) et comportement meurtrier

Confusion constante entre le "je" du narrateur et le personnage de Maldoror ; discours directs et indirects enchâssés

Intrusions nombreuses du narrateur en discours adressés au lecteur, concernant sa technique d'écriture ; les attentes du lecteur, son impatience, son intérêt qui a fait suite à une première répulsion, à force d'efforts de lecture ; concernant la logique ou l'impossibilité des choses écrites ; beaucoup d'ironie ; apparence du délire dans des parenthèses interminables dont le narrateur a conscience et qu'il avoue en même temps qu'il se moque du lecteur

Maldoror : sorte d'archange, un ange jadis adoré et respecté de tous les séraphins, puis déchu si l'on en croit l'ange-tourteau envoyé par le Créateur (ch6), qui paraît impuissant à achever Maldoror, et dont on sent qu'il lui porte une affection particulière (au moins en ce qu'il ne cherche pas à anéantir Maldoror malgré sa toute-puissance : il se retire souvent vaincu et méprisé)
Physiquement : blondeur ; lèvres : de jaspe, lèvres quasi-inexistantes ; référence au crapaud pour se décrire ; par moments taille et forme humaines, à d'autres formes et dimensions monstrueuses (combat le monstre tigre à la queue de poisson sous la forme d'un aigle géant) ; force herculéenne ;
Le narrateur : réf à des origines de Montevideo

Thèmes récurrents :
- mathématiques (une strophe entière dédiée — pas lue en entier)
- sourire : le narrateur déclare refuser le rire (mais même Maldoror ne peut se retenir — "lèvres qui s'élargissent")
- squales : requins mâles et femelles (Maldoror s'accouple à une requin femelle quand il voit en elle une semblable dans la cruauté lors du naufrage d'un navire près des côtes, au cours duquel il abat d'une balle un naufragé nageant de toutes ses forces vers la falaise)
- pou (une strophe entière lui est consacrée)
- registre scatologique : mers d'excréments ensanglantés, vase de nuit (jusqu'à l'ustensile couronnant Aghone, le fou recueilli par Maldoror ch6), espaces insalubres ("toilette" de la prostituée par les coqs qui lui dévorent les lèvres rouges) / sperme et cyprine
- lèvres de Maldoror : mouvements, tensions, forme, finesse jusqu'à l'inexistence, couleur
- falaises, mer, promontoire : points d'observation d'où Maldoror scrute l'humanité
- pédérastie ; incertitude du sexe mais préférence pour les jeunes garçons (dans le lupanar, crime révélé par un cheveu...) même si Maldoror pratique aussi le meurtre de jeune fille (dans les champs, M viole la fille et ordonne à son bouledogue d'achever l'enfant ; le chien préfère la prendre lui aussi ; M le châtie en l'éborgnant, et tue la fille en l'éviscérant à l'aide d'un couteau à multiples lames)
- métamorphoses omniprésentes sans que leur cause soit toujours expliquée ; anthropomorphisme appliqué à des animaux ou métamorphoses d'hommes en animaux (le fils et le mari d'une femme, transformés en scarabée et en vache) / interpénétration des humains et des animaux : Maldoror (ou le narrateur, ou le Créateur ?) transformé dans son attente sans fin en une forme monstrueuse où des éduses ont pris la place des fesses, une vipère celle du sexe, des hérissons celle des testicules, etc.)
- registres de l'horreur empruntés aux sciences médicales (récurrence des anomalies du corps comme le "vice de conformation" des appareils génitaux ; maladies et leurs manifestations dermatologiques : lèpre noire (souvent citée), furoncles, autres maladies comme le ténia (bcp cité, ainsi que les anneaux) ; déformations dues à la fatigue : cernes, couleur de la peau) ; aux sciences naturelles : animaux curieux,


Si il y a une explication à la cruauté de Maldoror, elle semble être à trouver dans celle des humains et du Créateur :
- celle du Créateur qui permet la cruauté des hommes, qui inflige des douleurs atroces et des peines à ses créatures ; qui viole leur intimité et le secret de leurs pensées (le narrateur explique comment il lutte contre le sommeil et résister contre l'immixtion du Créateur dans ses pensées endormies) ; M rejette son emprise aussi du fait de l'hypocrisie du Créateur envers ses créatures
- celle des humains : cruauté des hommes envers les enfants (scène de l'enfant qui court derrière un bus parisien, remarqué des passagers qui ne font pas arrêter le bus, alors même que l'enfant tombe à terre) ; cruauté des hommes et des femmes (la mère et la fille qui pendent un jeune homme pour se venger de son refus de s'accoupler à elles, et fouettent avec des câbles lestés de billes de plomb sa peau préalablement goudronnée, pour que les coups pénètrent plus encore dans la chair)

vendredi 24 juillet 2009

Sur la route - Jack Kerouac (1957)

Se dévore, s'avale comme une langue d'asphalte à 150.
Sal(vatore) Paradise : ancien GI, orphelin, une tante à NY, un frère (qui passera à NY, sans plus), touche sa pension et tape sa tante en cas de besoin, écrivain débutant, en quête, de tout, du pourquoi et d'un père
Dean Moriarty : le sale gosse, un père clochard qui l'a formé à la conduite (nbrx exploits de vitesse et de conduite serrée) et à la fauche (gros passé de maisons de correction en prisons), adepte de la tise gros volume, incontrôlable, baiseur, trois fois marié, des enfants (Marylou-Camille pdt l'essentiel du bouquin ;


Le beat : pas seulement le rythme, aussi la voie vers la béatitude, un état atteint rarement, le jazz comme meilleur voie d'y parvenir (le bop surtout — scènes de transe de Sal et surtout de Dean devant les sax noirs quand ils chopent le it, transcriptions graphiques des cris des sax), mais aussi les coups, les gars foutus (signe d'une certaine proximité à...)

Magie de l'amour, magie de la braguette : ils repèrent une fille, ils lui parlent, et ils la pelotent, au moins. Rares questions existentielles sur le j'y-vais-j'y-vais-pas (quelques remords par trop d'égards : la jeune 15 prost colorée dans le bouge mexicain ; la jeune 16 fille de la ferme le soir de la sortie de route boueuse...). Même diminué par son pouce partiellement amputé et le pansement sur son infection, Dean continue de lever... Sal attiré par l'amour, le vrai, la fondation : débuts de couple avec la mexicaine (qui prend sur elle pour l'aider au coton alors qu'il est à la peine ; qui prend sur elle de le laisser partir quand elle comprend que son chemin est encore à tracer — amour et dignité de la femme humble habituée au malheur)

Cf. "Cement mixer, putti putti" (reprise par G-Swing en 2006 ?) ; plusieurs titres de mambo de Perez Prado.
cite Proust ; Les Mystères de Paris de Sue
cf W. C. Fields (acteur, homme de music hall US 1880s-1946, gros alcoolique, humour sarcastique, voix particulière)

Extraits :
- "Voilà ce que c'est de vivre dans la nuit, voilà ce que ça fait de vous. Je n'avais rien à offrir à personne que ma propre confusion." (p 178-179 ; Sal parle ; à propos de l'incapacité de Sal à offrir un mariage aux goûts de Lucille, impossibilité fin d'obtenir un divorce d'avec son docker de mari ; impossibilité de se fixer ; incapacité aussi de Lucille d'accepter la soif d'expériences de Sal)

- "On était tous aux anges, on savait tous qu'on laissait derrière nous le désordre et l'absurdité et qu'on remplissait notre noble et unique fonctiion dans l'espace et dans le temps, j'entends le mouvement." (p. 189 ; Sal parle ; après le passage à NY chez sa tante, nouveau départ de Sal pour la Californie, Dean couché sur le volant (""Hou !" gueula Dean. "En route !"")

- "Je compris soudain que Dean, en vertu de la suite innombrable de ses péchés, était en passe de devenir l'Idiot, l'Imbécile, le Saint de la bande (...) [Sal]
— Tu n'as absolument aucun égard pour personne sinon pour toi-même et pour tes sacrés plaisir de cinglé. Tu ne penses à rien d'autre qu'à ce qui pend entre tes jambes et au fric ou à l'amusement que tu peux tirer des gens et puis tu les envoies paître. Sans compter que dans tout ça tu te conduis stupidement. Il ne t'est jamais venu à l'esprit que la vie est chose sérieuse et qu'il y a des gens qui s'efforcent d'en user honnêtement au lieu de glander à longueur de temps. [Galatea]
Voilà ce que Dean était, le GLANDEUR MYSTIQUE. (p. 275 ; Dean en phase de démystification par ses anciens disciples)
(...) Il était BATTU, ce qui est source de Béatitude, FOUTU, ce qui est essence de Félicité." (p. 276 ; tj Sal à propos de Dean)

vendredi 10 juillet 2009

La Vie sur le Mississippi — Mark Twain (1883) — Tome II VF

Plus long à lire que le tome I : moins de souvenirs d'enfance, pas mal d'inserts d'extraits de journaux, style souvent retranscrit de prise de note sténo, peu de paragraphes vraiment rédigés avec les formules à la Twain (genre remarque conclusive, mi-moraliste, mi-ironique)

Retour de Twain sur le Mississippi 21 ans après son dernier service : changements
- des paysages (le fleuve a continué de modifier les berges, créer des îles, des raccourcis, etc.) ;
- des villes (disparition de certaines, souvent suite à des inondations ; création ou expansion d'autres ex. Saint Paul, Minneapolis — signes du développemment : population mais aussi industries, urbanisation, services (pompiers, police, enseignement, bibliothèque, journaux...) ; New Orleans "the Crescent City" comme modèle de développement surtout du fait de l'éclairage public plus impressionnant qu'à New York) ;
- des modes de transport : les vapeurs comme les radeaux sont devenus rares ; les usages, les cérémonies, les rapports humains s'en sont trouvés changés (le pilote devenu conférencier) ; les bateaux supplantés par le train (même pour les déplacements de pauvres ; bruit du train violent prp au bateau dans un paysage quasi-idyllique)

De mémoire :
- références à la guerre civile 1861-1865 : massacres et bombardements de Vicksburg
- histoire de l'assassinat de la femme d'un agriculteur par deux soldats, vengeance jusque dans un hôpital allemand
- histoires indiennes : Winona (et sa conclusion indéite)
- toujours les histoires plus ou moins vraies racontées par les pilotes ou les capitaines ; MT les aime plausibles et relève la moindre incohérence : démasque un ancien ; éprouve peu de respect pour les gens des bateaux qui se foutent des étrangers
- dès l'enfance : amour des histoires imaginaires, nourriture de ses rêves (le forgeron assassin des Lynch), héroïfication des personnages quelconques mais au fort pouvoir d'évocation (le sellier et son activité imaginaire)

Chapitre sur une vendetta entre des familles du sud, jusqu'à la mort du dernier survivant de l'une des deux familles. -> cf Huck Finn + nouveau chapitre sur les vendettas vers la fin

Bref : vague impression de bâclé (trad bof et nbrs coquilles) ; sentiment de condescendance/supériorité du MT comme témoin en retour direct (pas comme écrivain, sans le biais de la narration fictive — la forme étant bcp moins travaillée)

lundi 6 juillet 2009

Les Aventures de Huckleberry Finn Le Camarade de Tom Swayer — 1885

Le livre a été publié en 1885, l'action se déroule entre 1935 et 1845, avant l'abolition de l'esclavage.

Livre écrit à la première personne, signé de Huckleberry ("Bien sincèrement vôtre, Huckleberry Finn")

Livre écrit après Les Aventures de Tom Sawyer, auquel il fait référence dès le début.

Huck est le fils du poivrot du village. Il est élevé par deux femmes, la Veuve Douglas, qui l'a adopté, et Miss Watson qui lui apprend à lire, toutes deux veulent le "civiliser" ("s").

A la fin de Tom Sawyer, les deux héros avaient trouvé le trésor des bandits et la part de Huck s'élevait à 6 000 dollars — gérés par les soins du juge Thatcher, qui lui rapportent des intérêts et éveillent l'appétit de son père.
Son père l'enlève et le retient prisonnier dans une cabane, de laquelle Huck réussit à s'enfuir en faisant croire à sa mort en égorgeant un cochon sauvage avant de s'enfuir à bord d'un canoë.

Sur une île, il retrouve Jim, l'esclave de Miss Watson, qui a pris la fuite après avoir appris qu'il allait être vendu (800 $) (on le soupçonne même d'avoir tué Huck)
S'ensuivent diverses scènes truculentes souvent à dimension morale, mélange de roman d'aventure et d'une parabole à la Candide de Voltaire, où le héros apprend par l'expérience, et où son bon sens est confronté aux théories, opinions et pratiques des personnages rencontrés en chemin.

Bien qu'il ne cherche jamais à contredire ces compagnons de passage, Huck s'en remet plus généralement à son bon sens et à son expérience de la vie, qu'aux grandes paroles ou à l'esprit fantasque de Tom...

Tom : le rêveur à l'imaginaire débridé qui fait de toute action une occasion d'aventure romanesque — citation du Quichotte lors de l'attaque d'un troupeau présentée comme l'attaque d'un convoi de pierres précieuses (la bande de voleurs... fragiles motivations malgré les serments), des classiques d'aventures où les héros ne s'échappent qu'après de longues et dures années de captivité (Le Comte de Monte Cristo : Edmond Dantès au Château d'If ; Walter Scott, etc.) d'où les stratagèmes compliqués à l'extrême pour donner de la valeur à l'évasion de Jim...

Bonheur de la vie simple sur le radeau (pêcher à la ligne, fumer, dormir, nager, à poil...)

Découverte de l'humanité de Jim : Huck prend plaisir à rouler Jim en lui faisant croire à un rêve alors qu'ils ont réellement été séparés pendant un épisode de brouillard, au vu de la peine de Jim lorsqu'il comprend que Huck s'est joué de lui, Huck réalise la force de son amitié pour lui. Position de Huck par rapport à l'esclavagisme : ambiguë : foncièrement attaché à la liberté, ému par les témoignages d'affection, de remerciements de Jim pendant leur descentes du Mississippi — mais aussi attaché au respect des droits, comme le droit de propriété de la tante sur Jim (et donc culpabilisation au regard de l'appauvrissement de sa tante)

Renversement comique de situations attendues parce que classiques : Scènes où le père menace de coups Huck parce qu'il apprend à lire (ça se fait pas d'en savoir plus que ses parents)

Cf There will be blood : scènes de prêche enflammé avec les deux escrocs qui montent des arnaques à la conférence (sur la tempérance, not.), des spectacles médiocres, des abonnements, etc. Dans une église, l'un des deux bandits réussit à faire organiser une quête au profit de sa cause (conversion de sauvages) alors qu'il venait juste d'entrer dans la salle, en jouant la révélation avec force larmes et trémolos

Roman d'une éducation et d'un éveil à la conscience de l'autre
Allégorie de la naissance d'une Amérique libérée du joug et des influences anglo-européens, plus démocratique, plus en phase avec la nature et les droits humains : distance ironique par rapport à l'éducation et aux bonnes mœurs ou aux traditions européennes, prétendument aristocratiques [scènes de la vendetta entre deux familles de propriétaires, vengeance dont nul n e se souvient des origines et qui finit en bain de sang parce une fille et un fils de ces deux familles décident de se marier], à la religion [nombreuses scènes de prêches béats, naïfs, trompeurs], aux régimes monarchiques [les bandits qui se prétendent roi et duc, pour seulement obtenir des faveurs], mais aussi par rapport à l'idiotie et aux superstitions des noirs [peur des sorcières : nœuds avec des ficelles dans les cheveux... en même temps : Jim a rêvé qu'il serait riche, dans un sens il le devient à la fin du livre, dans son échelle de valeurs, en tout cas] dont les qualités humaines, de solidarité [chasse aux mocassins pour mettre en rapport Huck et Jim ; traitement de Jim dans la cabane de détention] sont un modèle pour Huck à l'opposé des blancs [not. violence dans les rapports entre eux, cruauté envers les esclaves]

Nombreuses scènes de la vie simple au bord et sur le fleuve, sur les îles, les berges, sous la pluie, sous le soleil, pêche toujours suffisante, cuisine frugale mais roborative (aucune trace de pollution, même, les villes ne sont encore qu'embryonnaires)