lundi 29 juin 2009

Lord Jim - Conrad (1899-1900)

Histoire de Jim, narrée par Marlow. Techniquement, plusieurs narrateurs, plusieurs voix, plusieurs sources, plusieurs documents.
Intro par un narrateur omniscient.
Début du récit de Marlow avec interventions du narrateur par moments.
Nombreux dialogues et discours indirects enchâssés dans le récit de Marlow.
Fin — la fin de Jim à partir de l'arrivée de Brown à Patusan — avec intervention du narrateur qui introduit une lettre de Marlow en introduisant une plus longue, dans laquelle Marlow retranscrit le récit de Brown agonisant.
Dans sa préface de 1917, Conrad reconnaît lui-même l'invraisemblance, l'impossibilité technique, d'un récit oral aussi long... il explique — avoue — que Lord Jim n'était au départ qu'une nouvelle ayant pour sujet les mésaventures du bateau de pèlerins.

Edit 2 juillet :


Jeux de lumières : nuit, jour, noir, ombres (des reliefs, des hommes (sur le canot de sauvetage)) et lumière ; lune, soleil, lever, coucher, aube, crépuscule, etc. la vie de Jim comme une immense zone d'ombre, parfois éclairée par l'espoir (la torche de son aimée) ; le blanc des habits (scène finale face à Brown où il apparaît vêtu d'un blanc immaculé

Originalité :
- on n'apprend ce qu'il est effectivement advenu aux pèlerins qu'après environ 120 pages
- on croit commencer un roman d'aventures avec un personnage-type : le jeune homme plein de rêves et d'idéaux, promis à l'héroïsme — on comprend petit à petit que le destin ne lui permettra pas d'être à la hauteur de ces, de ses, attentes (de celles du personnage, de celles du lecteur, pê aussi) —> alors qu'on s'est attaché à Jim sans bien comprendre la raison de l'attachement/affection de Marlow pour lui, les jugements extérieurs arrivent assez tard dans le récit, après les réactions d'incompréhension, de surprise, de colère de ses patrons successifs, c'est l'image d'un idiot inoffensif, maladroit et immature que ces commentaires font ressortir (Marlow est le premier à formuler aussi clairement son avis, lorsqu'il commence à s'exaspérer de son comportement infantile, fantasque, fuyant, et qu'il commence à craindre qu'il ne se transforme en un ivrogne vagabond et cogneur — ce qui lui aurait retiré toute dignité, et donc tout intérêt aux yeux de Marlow) —> terme synthétique : "romanesque" (employé à plusieurs reprises ; ? exprimé en premier par Stein, espèce de vieux sage philanthrope)
-

Questions :
- pourquoi Marlow s'attache-t-il tant à Jim ? Jim, le fils que Marlow n'a pas eu ? solidarité entre marins ? homosexualité ? fraternité élective ?
- pourquoi Jim laisse-t-il partir Brown "sans combattre" ? voit-il en Brown un alter ego, veut-il lui donner une chance de sortir digne d'une épreuve, ultime aboutissement d'une vie de rejet, de souffrance, d'injustice qu'il estime proche de la sienne ? ou bien est-ce de la faiblesse, de la naïveté, une forme d'idiotie béate —> Jim a aussi sous-estimé la détestation haineuse, la volonté de nuisance, de vengeance, l'"abjection" (dixit Marlow) de Cornelius, vrai responsable de la tuerie lâche commise par Brown lors de son échappée par le cours d'eau alternatif à la rivière (du personnage boiteux impotent, on passe à l'image d'un cloporte, écrasé par deux fois sous les coups de la lance de Tiam...)
- pourquoi accepte-il, demande-t-il la mort ? seule échappatoire possible, seul moyen de solder dignement les deux erreurs de sa vie, les ruptures de confiance

- passages sur les femmes : sentimentalité ; pouvoir de compréhension différent, dans d'autres circonstances que les hommes

- p254 : Marlow rend visite à Stein (l'homme qui a repris le fonds de com de l'Ecossais à Patusan, dans les célèbes) : passage sur l'ambition vs les moyens —> quelle issue ? p262 Marlow : "Oui, dis-je, à strictement parler, la question maintenant n'est pas comment guérir, mais comment vivre." Stein citant Shakespeare Hamlet p 263

Edit 7 juillet
Marlow est approché par un vieux loup de mer qui lui demande de convaincre Jim de prendre la tête d'un bateau vers des îles à guano (pas d'eau, du soleil, de la solitude) — aperçu économico-historique : l'Australie est en pleine demande d'engrais pour son agriculture : gros espoirs de fortune. Marlow refuse par rejet du briscard et de son financier, et du navire pourri, qui ne lui inspirent aucune confiance : il apprend plus tard que le briscard et le navire ont disparu en mer.

vendredi 5 juin 2009

La Vie sur le Mississippi — Mark Twain (1883)

Vol. I
Regard de l'enfant d'un petit village sur les gens du fleuve — dont les travailleurs des navires (du mécanicien au pilote), les bateaux (barges, chalands, radeaux et vapeurs à aube), les espaces...

Restitution de l'humour de l'enfant, de la naïveté un peu consciente de son inculture...
"J'étais plutôt content d'être capable de lui répondre tout de suite, ce que je fis. Je lui dis que je ne savais pas." (p92)


Admiration pour le langage des gens des bateaux, leur grossièreté, inventivité, poésie, diction... (du Céline sans le pessimisme) : écriture orale, apostrophes, ellipses, étirement des syllabes, 

Insertion de l'épisode de la montée d'un enfant sur un radeau (Huck Finn)

Episode final de l'explosion-incendie du vapeur Pennsylvania (découverte de l'horreur des blessures)

Orgueil de l'enfant (chap IV : L'ambition des enfants) : par rapport aux gens des berges, du village (fierté de peler, exhibition sur le pont pour être bien vu des riverains) ; par rapport aux autres apprentis (récit de la nuit où un bateau-sonde — sur lequel Twain aurait dû embarquer s'il n'avait été doublé par un autre apprenti qui l'a roulé — a été détruit par le vapeur qui l'a confondu avec la bouée ; rivalité pour l'amour d'une jeune passagère, victoire de l'apprenti sauvé grâce à sa réactivité)
"Dès la moitié du second jour, je connus une joie qui m'emplit de la plus pure des gratitudes : je venais de découvrir que la peau de mon visage et de mon cou commençait à se couvrir de cloques et à peler. J'aurais aimé que les garçons et les filles de mon village me vissent à cet instant." (p81)
  
Histoire du syndicat des pilotes : débuts ridicules (alors que trop d'apprentis avaient été certifiés pilotes sans réelle compétence), développement en plein boom de la demande de pilotes, évolution de l'association avec des contraintes de plus en plus grandes quant à l'adhésion (hausse du coût au fur et à mesure que les réfractaires historiques se voient contraints d'adhérer) et quant à la fourniture de services (hausse des salaires imposée du fait du monopole ; placement systématique de deux pilotes du syndicat) ; puis crise avec la concurrence du chemin de fer et des remorqueurs dont la capacité à pousser de nombreux chalands rendit obsolètes les vapeurs

Histoire de la formation-déformation des berges du Mississippi : phénomène naturel en fonction des pluies, mais aussi humain du fait d'interventions comme le creusement de canaux (pour valoriser une plantation : la faire se rapprocher du fleuve en inondant les parties séparant cette plantation du cours : le creusement d'un ruisseau suivi de l'érosion permet rapidement le passage du bateau)

Histoires fantastiques : le tonneau hanté par l'enfant de l'un des gars du radeau ; le somnambulisme du pilote qui a su diriger le vapeur en pleine nuit, en plein sommeil ; la légende du vapeur prisonnier d'un chenal d'où il ne put ressortir (rougeoiement des lampes et cris de l'équipage certaines nuits)

Portraits de pilotes : l'exemplaire M. Bixby, sympathiquement charrieur ("Ben, à tout prendre, tu me sembles réunir en toi plus de races d'ânes qu'aucune personne que j'aie jamais rencontrée." p 116) ; M. Brown, bavard spécialiste de la digression (chap. XIII ; et tyran du jeune apprenti Twain, puni par le sort : il périra lors de l'explosion du Pennsylvania, que Twain avait dû quitter parce que Brown ne voulait plus le voir sur le bateau, suite aux coups que Twain lui a assénés pour protéger un jeune apprenti et pour se venger de la violence verbale et psychologique qu'il lui faisait subir

("Mark Twain" p114 : "marque deux" : niveau de l'eau (deux brasses) crié par les sondeurs, niveau en-deçà duquel le passage du bateau devient dangereux : Twain, né Samuel Clemens, se définit donc lui-même comme "entre deux eaux" : entre risque et sécurité, entre noir et blanc...)






(mardi 9 juin)

jeudi 4 juin 2009

Casque d'Or - Jacques Becker (1951)

Georges Manda le charpentier (Reggiani) tombe amoureux de Marie la prostituée (Signoret) maquée à Roland le Beau. Provoqué par le maquereau, Georges le tue lors d'un duel orchestré par Félix Leca, le négociant en vin chef de bande, lui-même amoureux de Marie. Le deuxième duel se déroulera indirectement : Leca dénonce Raymond (Raymond Bussières — gueule avec une voix grave), l'ami de Georges, à un inspecteur de ses amis pour le meurtre de Roland. Face à l'injustice de l'arrestation de Raymond, Georges va se dénoncer au poste de police, et apprend par son ami que Leca les a trahis. Les deux amis sont alors amenés à la Santé mais ils parviennent à s'échapper du convoi grâce à la présence de Marie devant les portes de la prison. Dans leur fuite, Raymond est mortellement blessé tandis que Georges parvient à retrouver Leca, qu'il tue de plusieurs balles dans l'arrière-cour du commissariat. Il est guillotiné sous les yeux de Marie qui revoit alors en rêve la valse qu'elle dansa avec Georges au bal de Joinville.

Décors naturels (berges de la Marne, prairies, maison de Madame Eugène : un petit coin de campagne près de Paris)

Dialogues :
- Raymond dans le bal : "Et alors ? et la musique ? — [musique (un air connu, trompette-grosse caisse — expression joviale du patron qui ouvre les bras]
- le patron du bal : "On ne choisit pas toujours ses clients" — Raymond arrivant de derrière : "N'est-ce pas ?"
- la bande à Marie : "allez Marie ! danse ! — … — Aaaaaaahh !"
- de la "salope" (Roland à Leca parlant de Marie, notamment) ; du "connard" ; du "pauvre con" (Leca à Raymond qui lui demande d'épargner Georges) ; du "ta gueule" encore (des policiers à des membres de la bande)
- Marie à Leca : "ils se sont conduits élégamment, de vrais gentlemen ("an")" — Les voyous : "Ta gueule"
- Leca à Fredo qu'il corrige par des claques parce que Fredo l'a volé, celui-ci levant le bras pour se protéger : "Tu permets !"

Honneur et droiture de Georges, réglo avec son patron et avec Marie. L'assassinat de Leca est une triple vengeance : 
- sa propre vengeance suite à la dénonciation de Leca  — en ce que Leca a dénoncé Raymond pour faire tomber Georges et récupérer Marie, 
- vengeance de la mort de Raymond (qui n'aurait pas été tué si Leca ne l'avait pas mêlé à l'affaire, et manipulé (Leca a insisté pour que Raymond conserve montre et couteau de Roland, autant de pièces à conviction pour l'instruction suite à la trahison)) 
- vengeance pour l'honneur forcé de Marie (Georges comprend que Leca a couché avec elle lorsqu'il trouve ses mules au pied du lit de Leca)

Exotisme voyeur des bourgeois en goguette au bal où se réunissent les Apaches, lâcheté lorsque Roland force la bourgeoise à danser, frayeur lorsque le meurtre de Roland est révélé

Police et truands tiennent à peu près le même langage. 

Symétrie des duels Georges-Roland et Georges-Leca : dans une arrière-cour (du bal ; du commissariat)

Jeu :
- valse à l'Apache de Roland (yeux baissés vers le sol, dos raide, bras perpendiculaire) et Marie (bras autour du cou ou sur l'épaule, yeux sur Georges pendant toute la ronde) / de Marie et Georges (Georges commence les yeux baissés, mi-gênés, mi-provoqués, et finit souriant) / Roland-la bourgeoise (bras très haut, corps serrés : minimum de distance)
- regards de Raymond : quand il dit à Georges, avec les yeux, qu'il ferait mieux d'accepter l'invitation de Roland ; quand Roland est à terre, regarde la bande en souriant et montrant Roland du doigt, tout e souriant)
- scènes de bande : le "Aaaaaahhhh !" lorsque Marie accepte de danser ; le silence quand Georges est provoqué par Roland

Scène à caricaturer : Gorges allongé sur la berge, Marie qui le surprend et tente de le réveiller en le chatouillant à l'aide d'une brindille qu'elle passe sur ses oreilles (durée du jeu -> à croire qu'il dort comme une souche et qu'elle pourrait lui mettre le doigt dans le nez qu'il ne bougerait pas — poésie un peu cucul du visage de Marie dans le soleil quand il ouvre les yeux)

mercredi 3 juin 2009

Les Contes d'Hoffmann — Michael Powell, Emeric Pressburger (1951)


Décors, expressionnisme du jeu du malin et de Schlemil (gris au visage, yeux exorbités, poses outrées), kitsch, lumières, effets spéciaux (transformations (bijoux cire) ; disparitions (pluie de poudre colorée) ; transitions (fondus ex. entre la tête de Olympia d'où sortent des ressorts évoquant les ondes d'un cours d'eau, lagune de Venise), split screen vers la fin (4 femmes (Stella + Olympia-Giulietta-Antonia commencent à danser puis sont rejointes par Hoffmann) 

Musique : "Douce nuit, nuit d'ivresse..." chantée d'abord par la courtisane (ress. Amandine) puis thème repris dans une chorégraphie finale avant le tomber de rideau et le retour dans la brasserie où Hoffman ivre s'est endormi; laissant passer Stella, la danseuse, qui part avec l'ennemi juré du poète sous un énième avatar (Lindorf-Coppelius-Dappertutto-Dr Miracle)

Chorégraphie initiale des amours de la libellule (Dragonfly) : final dans les airs vers le disque lumineux de la lune suivant un chemin en trois pentes / mouvements des bras rappelant des battements d'ailes -> scène du Songe d'une nuit d'été (William Dieterle, Max Reinhardt, 1935, av. James Cagney-Bottom, the Weaver) où une protagoniste tourne le dos au spectateur et disparaît progressivement dans le noir (sous une poursuite ?) : gestuelle très proche

Visages, yeux d'Olympia : mouvement de tête furtif, inclinaison de la nuque comme une minauderie à l'arrêt dans un gros-plan en transition entre deux déplacements
Yeux et bouche de Giulietta dans les bras Dappertutto au début de la partie vénitienne

L'homme esclave de sa passion ? de ses amours irraisonnés ? des femmes qui se jouent de lui ?
Ou victime seconde, quand la remière est la femme, manipulée qu'elle est toujours par un homme caché (son créateur ; son souteneur-manipulateur ; son maître-exploiteur ; le père ou l'homme accompli par opposition à Hoffmann, le poète fragile parce que soumis à ses émotions)