Edition GF Flammarion "Etonnants Classiques", 2004, trad. Claude Perrus, prés. et dossier par Nadia Ettayeb
Six Personnages fait partie d'une trilogie intitulée le "théâtre dans le théâtre" qu'elle initie en 1921, suivront : Chacun son idée (d'abord int. Comme ci [ou comme ça], 1924, et Ce soir on improvise, 1929
Un soir, dans un théâtre, une troupe de piètre talent répète une pièce de Pirandello (Jeu des rôles, 1919) lorsqu'apparaissent six personnages qui demandent à trouver un auteur.
Ces personnages disent être "nés vivants" de l'imagination d'un auteur qui n'a pas voulu leur donner de suite
Réactions d'abord amusées puis fascinées des acteurs, et surtout du directeur ; les acteurs deviennent les spectateurs des Personnages, lesquels leur reprochent de trahir la vérité artistique en cherchant à donner de la vraisemblance à leur interprétation (création vs mimésis)
Les six Personnages sont : un Père, une Mère, une Belle-Fille ("Amélie" — seul nom formulé pour ces Six Personnages), un Fils, un Adolescent, une Petite Fille, et Madame Pace que ces Personnages font eux-mêmes sortir d'un dispositif de décor qui appelle "naturellement" ce personnage (les chapeaux et une banquette figurent tellement le magasin de Madame Pace qu'elle en apparaît, comme élément "naturel" de ce décor)
L'histoire des personnages : le Père pousse la Mère dans les bras d'un autre homme, duquel elle a une fille. Le Père se rapproche de cette fille pendant sa scolarité, l'attend à la sortie de l'école... la Mère et ses enfants quittent la ville, et le Père retrouve la Belle-Fille plus tard dans un magasin de mode dont la patronne, Madame Pace, fait travailler la Mère comme couturière, et la Belle-Fille, comme prostituée, sous prétexte de rattraper les fautes de sa Mère qui ne fournirait pas un travail de qualité suffisante.
Le noeud du drame est la relation forcée que le Père va obtenir de la Belle-Fille ; la réaction de haine de la mère envers la Belle-Fille ; puis, sur un autre plan, la mort (accidentelle ?) de la petite Fille sous les yeux du Fils impuissant qui découvre près du bassin où elle s'est noyée, l'Adolescent qui se tire une balle dans la tête.
Le Fils de son côté présente la figure d'un être refusant d'affronter la vérité, de prendre position, mais quand il veut s'enfuir de la scène, il est matériellement incapable de franchir l'espace du plateau, par un escalier ou par l'autre.
La Belle-Fille est le centre de tout le drame puisque c'est elle qui prend la parole et semble tirer les ficelles de ce monde imaginaire (elle prévient que le Fils ne parviendra pas à s'enfuir, le retient comme par magnétisme, etc.), c'est elle qui représente la création, ce sont ses rires sardoniques que l'on entend quand le théâtre s'est vidé de la troupe et des techniciens...
Théâtre pirandellien, Pirandellisme : mise en abyme théâtrale : "théâtre dans le théâtre" où une pièce s'enchâsse dans une pièce cadre. Fonction : reflet de l'œuvre principale ; révélateur d'une vérité indicible (MacBeth)
Moments-clés de la pièce :
- le Père renverse les positions de réalité et d'illusion à la face du directeur : ce que le directeur croit être la réalité tel jour, ne sera peut-être plus qu'une illusion plus tard, à l'épreuve du temps et de la vie, alors que les Personnages sont fixés dans la réalité artistique, figés par les limites de leur création par l'auteur.
- le directeur refuse que la Belle-Fille rejoue la scène de l'attouchement avec le Père dans la boutique parce que ce serait inconvenant, alors que pour elle, c'est son histoire, sa vérité, et que la pièce doit la reproduire, fidèlement à sa réalité, sans considération du jugement, jugement des spectateurs, de la critique, mais aussi de son Père (qui en nourrit un remords honteux), ou de sa mère (qui en a fait une cause de jalousie et de haine contre elle)
LA BELLE-FILLE : "A présent, nous sommes entre nous, encore ignorés du public. Demain vous donnerez de nous le spectacle que vous jugerez bon, en le composant à votre guise. Mais est-ce que vous voulez le voir, ce drame ? Le voir vraiment, tel qu'il a éclaté ?"
Particulièrement, sur le fait :
LE DIRECTEUR : Au fait ! Venons-en au fait, mes amis ! Tout ça, c'est du bavardage !
LE PERE : Soit, monsieur ! Mais un fait, c'est comme un sac : s'il est vide, il ne tient pas debout. Pour qu'il tienne debout, il faut d'abord y faire entrer la raison et les sentiments qui l'ont déterminé.
"On ne donne pas impunément vie à un personnage" ; "nés vivants, ils voulaient vivre"
La femme de Pirandello est internée en 1919 pour trouble psy ; elle accuse Pirandello d'inceste avec sa fille. (Ici, personne ne nie les actes : la Mère les dénonce, le Père et la Belle-Fille ne les nie pas.)